the golden age is over

Il ne se sent pas à sa place, au milieu de tous ces parents qui tentent de faire bonne figure, de ne pas flancher. Certains le font par dignité, d’autres pour ne pas inquiéter leurs rejetons, jeté en pâture à la cruauté humaine. Niallán n’a pas d’enfant à lui et en ressent un soulagement presque indécent. Il a bien sûr de l’affection pour bon nombre de ces gamins maigrelets et anxieux mais aucun n’est à lui, les dieux soient loués. Il ressentira un pincement au cœur si l’un de ses protégés vient à être appelé, mais rien d’irréparable. Pas d’impression d’être déchiré en deux, de se faire amputer d’un bras ou quoi que ce soit de ce genre. Il perdra le sommeil les premières nuits possiblement, l’appétit également, et ce sera tout. Il n’oubliera pas leur visage ou leur nom, mais ils ne seront plus que ça. Des noms et des visages quelque part dans sa tête, qui reviendront parfois le hanter au milieu de nuits agitées.

Son regard azuré se promène sur le décor sans trouver de point d’accroche. La dernière chose qu’il veut, c’est croiser le regard suppliant d’un gosse. Non, ce qu’il espère ne pas croiser, c’est une œillade de reproche. « Regarde ce qu’ils vont faire de moi. Regarde-moi bien parce que c’est peut-être la dernière fois que tu me vois. Qu’est-ce que tu vas faire contre ça ? Vous pourriez tous nous sauver et vous restez planté là comme des lâches. Tu n’étais pas censé être un champion ? Est-ce que tu te sens comme un champion, Niallán ? ».
Non. Il se sent comme la dernière des merdes, comme à chaque Moisson. Il se sent impuissant, frustré, en colère et terriblement soulagé de ne pas avoir de gamin à sacrifier au Capitole. Pire, chaque année, il a même le culot de se demander s’ils ne vont pas le piéger. Il y a toujours ce petit moment angoissant durant lequel il s’imagine que les organisateurs vont tout à coup annoncer qu’exceptionnellement cette année, c’est un adulte qui va être sélectionné pour participer aux Jeux et représenter le District 8. Un champion qui avait jusque là réussi à se faire oublier, tiens. Allez Niallán, montez donc nous rejoindre, et que le sort vous soit favorable !

Le corps du trentenaire est parcouru d’un frisson malgré lui. Il baisse honteusement la tête, les poings serrés avec force, les mâchoires crispées. Ses yeux glacés se braquent sur ses chaussures élimées et poussiéreuses.
« Qu’on en finisse » marmonne-t-il, brisant le silence relatif. Il sent quelques regards peser sur lui et puis tout le monde se replonge dans ses pensées.
Lui, c’est à Silk qu’il commence à penser. Silk qui a participé aux Jeux et en est revenue. Il aurait aimé lui dire quelques mots avant que toute cette mascarade commence et il se promet chaque fois qu’il va le faire. Mais comme Niallán n’a aucune idée de ce qu’il pourrait bien dire qui ne soit pas totalement stupide ou déplacé, le trentenaire ne dit finalement jamais rien.
Et puis il pense à Cashmere avec qui il a eu un énième échange stérile quelques instants plus tôt. A elle non plus il ne savait pas vraiment quoi dire, pourtant il a bien fallut qu’il trouve les mots et qu’il improvise. Il doute que son discours ait eu l’effet escompté mais sait-on jamais.
Il se met ensuite à songer à tous les autres. Jorah, Katia, Piotr, Robin, Jeelana, Priya, Zenio, Maxine,…