Je m’en souviens encore comme si c’était hier, c’est fou.
Je venais de rentrer des courses, Maria était dans la poussette, elle était toute petite, elle avait un an. J’avais posé toutes mes affaires sur la table de l’entrer, j’avais rangé chaque chose que j’avais acheté comme je le faisais d’habitude. Je chantais ce petit air, celui que j’ai à chaque fois, du film Amélie Poulain.
Le paquet était pratiquement vide, restait plus que le ticket de caisse et… mon test de grossesse. Je tenais ce dernier objet avec précaution, tel un objet précieux. Mes yeux étaient rivés sur la boite, ils étaient comme hypnotisés. Un cri m’avait sorti de ma torpeur, Maria. J’avais posé le test de grossesse et l’avait sorti de la poussette. J’essayais tant bien que mal de la calmer, elle s’était mise à pleurer. Je lui avait dit des mots doux, lui avait chantonné quelques airs qui régnaient dans ma tête, l’avait bercé. Elle avait fini par s’endormir j’étais alors partie l’allonger dans son lit, je l’avais embrassé sur le front, comme à mon habitude puis j’étais revenue dans le salon. Mes yeux s’étaient encore une fois posés sur le test de grossesse. Je l’avais saisi entre mes mains, et je suis allée jusqu’au toilette. Là-bas, j’avais fait ce que j’avais à faire. J’étais ensuite sortie de la salle de bain, le test était entre mes mains, je le scrutais dans l’attente d’une réponse.
Positive ou négative, je ne savais pas laquelle je préférais. Un deuxième bébé, à 24 ans, cela ne me dérangeait pas. J’agrandissais ma famille, je continuais la nouvelle vie que je menais depuis que j’étais partie de Caswell, ça me plaisait. Si mon couple – si on peut appeler ça un couple - était dans une tout autre situation, j’aurais clairement voulu ce bébé. Cependant mon couple n’était pas comme je l’avais souhaité, pas comme je rêvais qu’il soit. Depuis qu’on était partis de Caswell, Andreas et moi, y avait ce truc en moins. On était toujours amoureux mais plus de la même manière. Bizarre, hein ?

J’avais d’abord cru que c’était rien après tout, dans un couple, il y a des hauts et des bas. J’avais fait comme si tout se passait bien, je me voilais la face, je ne voulais pas admettre la vérité. On s’éloignait l’un de l’autre au fur et à mesure. Bien sûr on avait encore des moments intimes mais ce n’était pas comme avant, ce n’était plus magique. Qu’importe, je fermais les yeux, faisais comme si tout allait bien, je me berçais d’illusions et ça m’allait très bien pour le moment. J’étais tombée enceinte, on était heureux, on allait être parents, nous. Le bonheur était revenu, le vrai, le bon, à l’état pur. Notre fille naquît le 8 novembre. A la suite de ça, Andreas devint étrange. Un soir, je me souviens très bien, alors que j’allaitais Maria, il m’avait fait ce regard. J’en avais eu la chair de poule. Je m’étais revue, quelques années en arrière, dans la cours de récréation, lorsque les parents me dévisageaient parce que j’étais une étrangère. C’était le même regard. Ce soir là j’avais décidé de prendre mes distances avec Andreas, de ne plus rien tenter avec lui. J’attendais simplement que quelque chose se passe, en espérant qu’il redevienne comme avant. Certains me feront peut-être le reproche d’avoir été trop passive, d’avoir baissé les bras trop rapidement. A ceux là, je leur présenterai mon plus beau majeur. Quand on n’est pas dans la situation, on se tait et puis c’est tout. Au final on était deux inconnus partageant le même appartement et ayant une fille. Je ne revoyais plus l’Andreas qui existait à Castwell. Il me manquait.

Il avait y eu un autre soir, en décembre… 2005. Oui, voilà. Ce soir là, j’avais eu l’impression de le retrouver, ne serait-ce que quelques heures. Une des plus belles soirées que j’avais passé avec lui. C’était magique. Puis, au matin, tout était redevenu comme avant. Même pire, Andreas était plus bizarre que jamais, il m’avait annoncé qu’il repartait à Caswell pour sa mère. Enfin, ça c’est ce qu’il m’avait dit au téléphone, lorsqu’il était en chemin. Il n’avait pas voulu me réveiller. C’était l’excuse qu’il m’avait sortie quand je lui avais demandé pourquoi il ne m’avait pas prévenu. J’avais fait semblant de le croire. J’étais devenue bonne pour ça, faire semblant.

Puis y a eu ce jour. Ce jour où je décidé qu’il était temps de tout changer. J’avais le test de grossesse entre mes mains, quand le téléphone avait sonné. Je l’avais posé sur la table, et était parti répondre. C’était Andreas, son appel quotidien où on essayait désespérément de se trouver des trucs à dire. Je lui demandais comment allait sa mère, lui me demandait si tout se passait bien avec Maria. A chaque appel, je m’excusais. Lui ne connaissait pas la raison et mieux valait qu’il ne la connaisse pas. Il n’empêche que je m’excusais à chaque fois. Ce jour là, par contre, c’était différent. A peine avais-je décroché le téléphone qu’il me lâchait de sa voix réjouie qu’il serait à la maison le soir même. J’avais mis quelques secondes à réaliser. Quelques secondes de trop peut-être, il m’avait demandé si j’allais bien, puis j’avais prétexté que Maria pleurait pour raccrocher, le dernier mot que je lui avais adressé était désolée. Ma fille ne pleurait pas, c’était totalement faux, elle ne pleurait pratiquement jamais. J’étais juste sous le choc, j’avais besoin de réfléchir, mon cerveau était en pleine ébullition.

Partir ou pas ?

Je ne pouvais pas m’imaginer vivre la même situation avec Andreas ne serait-ce qu’encore une semaine de plus. Notre relation de couple m’empoisonnait, j’étouffais. J’étais devenue triste, avec lui. On fonçait droit dans le mur, c’était inévitable. Mais en même temps, il y avait Maria. Elle avait encore besoin de son père, je ne pouvais le lui arracher comme ça.

J’étais face à un véritable dilemme, je n’arrivais pas à me décider, j’étais dans une impasse. Lorsque, par tout hasard, mes yeux se posèrent sur le test de grossesse que j’avais oublié. Je m’étais rapprochée de lui, petit à petit, tel un félin guettant sa proie. Mon cœur battait la chamade au fur et à mesure que je pouvais distinguer ce qui s’affichait sur le test. Deux petits ‘+’ s’affichaient sur l’écran ; J’étais enceinte.

Immédiatement, je m’étais précipitée dans ma chambre. J’avais pris des valises et avaient fourgués toutes mes affaires dedans à une vitesse extrême. Mes bagages étaient bouclés en trente minutes. J’entamais celle de Maria. J’étais rentrée dans sa chambre dans une vitesse folle, elle ne dormait pas et pourtant elle pleurait, la petite. Comme si elle savait ce qui se passait. J’avais pris chacun de ses vêtements, chacun de ses jouets, j’avais tout transféré dans une autre valise. Pendant trois heures je ne fis que ça. Des valises, des valises, des valises. J’avais même appelé ma mère, en qui j’avais pleinement confiance, qui était venue illico presto pour m’aider à tout déménager.
En une après-midi tout était fait. Maman m’avait gentiment proposé de prendre Maria avec elle, j’avais refusé. Je voulais me débrouiller seule. Je lui ai fait promettre de garder le secret, je ne voulais pas qu’elle alerte toute ma famille pour si peu. Elle promit et comprit ma volonté, elle était fière de moi, j’crois.
Il ne restait plus que moi et Maria dans l’appartement. Enfin, moi, Maria et le futur garçon que j’allais avoir, même si je ne connaissais pas encore son sexe. Nous étions seules dans l’appartement, ma fille était dans sa poussette, les yeux rougis par les larmes, je commençais à regretter. Et si j’avais fait le mauvais choix ? Je pris une grande inspiration et me boosta mentalement. J’avança ensuite vers la table, pris un stylo et décida d’écrire sur la première chose me venant sous la main, mon ticket de caisse de la journée où figurait mon test de grossesse. Je n’y avais pas pensé, sur le coup. J’étais plus concentrée sur ce que je pouvais bien écrire. J’avais finalement opté pour un
« Je suis désolée, je t’aimais. Ne me cherche pas » que j’avais affiché sur le frigo avec un des vieux aimants qu’on avait gagné je ne sais plus où. C’était ma lettre de rupture. Simple, mais efficace. Et sur ce, je partis de ce qui n’était désormais plus mon appartement avec comme seule pensée que je pourrais enfin débuter une nouvelle vie hors de Caswell et de ses habitants.

Sept mois plus tard naissait mon petit garçon, Adam, le portrait craché de son père. Tout ce passait bien, au début. Je vivais avec mes deux enfants dans un des appartements de Phoenix. Maria grandissait petit à petit, elle me posait quelques questions sur son père que j’évitais plus ou moins avec brio. Je continuais ma vie, j’avais trouvé un job de vétérinaire qui m’apportait suffisamment d’argent pour pouvoir faire plaisirs à mes enfants. Tout allait pour le mieux. Jusqu’au jour où un docteur diagnostiqua à mon enfant des algies vasculaires de la face. Des sortes de grosses migraines, provoquant des cris de douleurs atroces. Il y a un traitement à cela, il est malheureusement trop couteux pour moi et pour ma famille, qui ne peut se permettre de me donner une telle somme. Alors, lorsque je l’ai su, j’ai immédiatement pensé à Andreas. Sa famille a de l’argent, beaucoup même. J’en ai besoin pour mon fils. Je décidai ce jour-là de repartir à Caswell. Sans mes enfants. Les emmener là-bas serait une erreur et puis, je ne sais pas comment Andreas réagirait. Qu’importe, le plus important, c’est qu’il me donne de l’argent pour le traitement de mon fils.