I’m back ! Après toutes ces années, me voilà de retour. Définitivement. Cela n’a rien d’étonnant, on finit tous par revenir à Caswell. Tous les membres de ma famille ont pu le vérifier, depuis l’époque où ils sont venus s’installer sur cette côte. C’est par le commerce du bois qu’ils ont liés notre nom à celui de Caswell. Fut un temps où tous les meubles et autre objet en bois de la ville étaient liés à la scierie Woods. C’est par leur travail et leur habileté à commercer que mes ancêtres ont gravi les marches menant au sommet. Ils ont su y rester, inébranlables, immaculés, n’en déplaisent à ceux qui les ont jalousés.

J’ai conscience de cela car c’est grâce à ce capital que j’ai pu être celui que je suis ! C’est parce qu’on savait que je venais d’une bonne famille, travailleuse, honnête, honorable, que l’on a passé l’éponge sur certaines de mes excentricités.
Puis soyons lucide, personne n’aime la perfection ! Pas plus à Caswell, qu’ailleurs ! L’aura de ceux que l’on nous donne en exemple, ne fait que mettre nos propres imperfections en exergue. Combien d’illustres concitoyens ont été mis en pièce, au premier faux pas, par ceux-là même qui leurs faisaient des courbettes ?! Alors je n’ai jamais caché mes failles. Non, je ne suis pas parfait ! Il en a toujours été ainsi, pour le plus grand plaisir de ceux qui s’empressaient de remarquer mon dernier tatouage, ma dernière frasque ou ma dernière bagarre.

Cela ne m’a jamais posé de problème, j’ai très vite appris à faire abstraction des “on dit”. “On” est un con et je ne compte pas sur lui pour me forger une opinion de moi-même. J’ai tracé ma route, j’ai appris à reconnaître les miens et à ignorer les autres.
C’est peut être parce que je n’étais pas seul, parce que j’avais mes parents, mon frère et ma sœur d’un côté, Chelsea de l’autre, que j’ai su faire face à tout ça. Peut être...
Je ne peux nier que cette dernière a été un soutient sans faille ! On était deux contre tous et je crois que ça nous a réussi ! Peut être qu’au fond la ville était avec nous, pas les habitant, non, mais bien l’âme de Caswell. Je n’ai jamais manqué une occasion de répondre à son appel, d’explorer toutes ses facettes, même les plus sombres.

Mon enfance fut heureuse, je ne la changerait pour rien au monde. J’en ai aimé chaque minute, les repas de famille, les ballades en mer avec mon grand-père, les parties de chasse en forêt avec mon père, même les offices religieux m’ont laissé un bon souvenir. Je n’ai pourtant jamais été très croyant, mais j’aimais la solennité du moment et l'attitude de certains habitants qui semblaient s’attendre à ce que Dieu les foudroie sur place. Je ne sais d’ailleurs toujours pas comment je me suis retrouvé à intégrer la choral, mais c’était drôle et ça m’a permis de découvrir la musique... Inutile de vous dire que mes goûts en la matière ont évolués depuis l’époque des psaumes !

Il y a toutefois un évènement qu’il m’est impossible de passer sous silence. La révélation du secret. Il était de tradition dans notre famille de ne confier le rôle de gardien qu’à un membre de chaque fratrie, traditionnellement l'aîné. C’est comme ça que mon père est devenu un Keeper, alors que son cadet a hérité de la scierie familiale. Ce rôle aurait donc dû revenir à mon frère, Jeremiah. Seulement, mon grand-père avait une autre vision des choses. Il a intimé l’ordre à son fils de me confier ce rôle, plutôt qu’à son premier né. Mon père ayant refusé et s’apprêtant à profiter d’un week-end en forêt pour confier le secret à Jeremiah, le patriarche de la famille Woods a tout bonnement choisit de le court-circuiter et de me révéler la terrible vérité. Je suppose qu’il avait prévu d’attendre que je sois un peu plus vieux, mais le destin en a décidé autrement !
Heureusement, je n’ai pas trop mal réagis. Passé l’horreur de toute cette histoire, j’y ai vu une source d’inspiration inépuisable ! J’ai peut être été profondément traumatisé et cela m’a peut être rendu dingue, mais soudain tout semblait possible ! Toutes les histoires emmagasinées dans mon esprit d’enfant faisaient soudain pâle figure face à la réalité et j’aimais ça ! Faut dire que je suis foncièrement optimiste, ça a dut jouer...

J’ai appris à tenir mon rôle, petit à petit, en suivant mon grand-père et en l'imitant. Parallèlement, je n’ai pas démérité dans mes études. A la sortie du lycée, je suis parti suivre des études dans la photo et le dessin à New-York. Ma famille ne s’y ai pas opposé, ils savaient que je finirai par revenir. Diplôme en poche, je ne suis pas rentré tout de suite, je suis allé à Frisco pour y bosser dans une agence de pub. J’y ai vécu pendant presque dix ans.
Caswell n’a pas pour autant quitté mon esprit puisque, outre pour les fêtes et les dates importantes, j’y rentrais tous les étés pour bosser dans le bar de mon grand-père maternel. Une vieille gargote en bord de mer, surtout fréquenté par les marins et les travailleurs de la côte. Le genre d’endroit où ils venaient déjeuner rapidement la semaine, boire un dernier verre après le boulot, ou prendre un brunch en famille en sortant de la messe le dimanche. Vous n’imaginez même pas tout ce que j’ai pu y apprendre, une vraie mine d’infos !

J’aimais la vie que je menais à San Francisco, mais une chose m’a frappé dès le moment où j’ai quitté ma ville natale : les gens ne sont pas mieux ailleurs ! Et je dois dire qu’arpenter les rues d’une ville aussi cosmopolite que SF et de voir que les gens peuvent se montrer aussi étroit d’esprit qu’au fin fond du Maine est assez déconcertant ! Sans parler des blasés, qui semblent lassés de tout ! Ne se rendent-ils pas compte de la chance qu’ils ont ? Ils peuvent tout faire et ne font rien de cette incroyable liberté ! Finalement, j’ai compris que je n’avais pas ma place parmi eux. Une mauvaise nouvelle n’arrivant jamais seule, j’ai appris le décès du père de ma mère. J’ai donc choisi de rentrer pour être au côté des miens. J’avoue avoir été surpris d’apprendre que j’héritais du bar, le Embers, mais je suis bien décidé à continuer de le faire vivre. En l’honneur de mon grand-père, d’une part, et parce qu’il n’y a pas meilleur endroit pour entendre les langues se délier. Un détail qui a son importance, quand vous êtes responsable de la sécurité de la ville.