Perdue dans le fil de ses pensées, Anastasia contemple d’un regard vide le panier de linges qui se trouve juste devant elle. Elle le voit sans le voir, elle a simplement conscience qu’elle a encore du travail, mais ne ressent pas l’envie de faire quoique ce soit pour le moment. À chaque fois qu’elle se retrouve dans la buanderie, la jeune femme repense à ses parents qui se disputaient souvent dans cette pièce en croyant naïvement qu’ainsi, personne ne pourrait les entendre ; ils se trompaient. Ils hurlaient tellement fort que mêmes les clients pouvaient entendre les horreurs qu’ils osaient se dire. Et elle, petite fille qu’elle était, s’occupait de tout sans jamais se plaindre, sans jamais dire qu’elle aimerait faire autre chose, rejoindre des amis, jouer dehors lorsque le soleil la suppliait de le rejoindre. Elle savait seulement qu’elle devait faire toutes ces choses, qu’elle devait prendre le relai afin que le business tourne encore, sans quoi, ils auraient tous les trois eut bien des problèmes. Du moins, tous les deux, une fois que sa mère eut envie de disparaître avec un homme connu d’elle seule. Depuis, la jeune femme ne sait même pas où se trouve la femme qui l’a mise au monde, mais c’est comme si son ombre tournait encore dans cette pièce, comme si elle faisait les cent pas en attrapant ses cheveux de ses deux mains en hurlant des atrocités. Anastasia l’entend encore, la voit comme si elle se trouvait juste à ses côtés, et cette image lui est désagréable.
Bon, songe-t-elle, il faut que je termine cette tâche.

Elle ouvre deux machines et y entasse les draps. Elle pourrait faire cela les yeux fermés, elle connaît les gestes sur le bout des doigts. Elle dépose ensuite deux doses de poudre dans chaque machine, les referme et les lance sans attendre. Demain matin, ne lui restera plus qu’à les mettre à sécher et ils seront prêt pour le soir, avant l’arrivé de nouveaux clients. Les paniers rejoignent les autres, et enfin, elle quitte cette pièce qui lui rappelle de trop nombreux mauvais souvenirs. Seulement, sa journée de travail n’est pas achevée pour autant.
Dans un soupir, Anastasia rejoint la cuisine, sort tout ce qui traîne dans le lave-vaisselle et s’occupe de les ranger. Personne d’autre ne le ferait à sa place, et même si parfois, elle embauche pour qu’on lui donne un petit coup de main, elle déteste lorsque ce n’est pas rangé à sa façon – elle ne cachera pas qu’elle est légèrement maniaque sur les bords.
Vingt minutes plus tard, elle éteint les lumières et s’apprête à franchir la porte où une pancarte « privé » est accroché, lorsqu’une voix la fait légèrement sursauter.
Putain, pense-t-elle, j’ai oublié de fermer les portes.
Une frappe au front plus tard, elle se dirige vers l’accueil et découvre un jeune homme qui se tient non loin du comptoir où elle accueille les nouveaux clients.

Son regard émeraude ne quitte pas son visage durant quelques secondes avant qu’elle ne prenne conscience qu’elle se montre impolie et qu’il est déplacé de faire une telle chose. Son père, Charles Brooks, lui répétait souvent qu’il n’était pas correct de regarder une personne avec insistance. « Bonsoir. » murmure-t-elle en s’approchant un peu plus de lui. « Je suis désolée, mais je n’ai plus une seule chambre de disponible. » annonce finalement Anastasia en lui lançant un regard navré. Il y a encore quelques temps, elle était presque au bord de la faillite, et voilà que maintenant, elle affiche complet pour les semaines à venir. Les gens ont une curiosité vraiment malsaine.

Le pire dans tout cela, c’est qu’elle ne peut même pas prétendre que d’autres établissements auront peut-être des places, parce qu’elle n’est clairement pas certaine que ce soit le cas. Depuis quelques semaines, tous les établissements de la ville connaissent des fréquentations en hausse et les derniers arrivés ont malheureusement aucune chance d’être convenablement accueilli dans notre ville – et parfois, elle se dit que c’est pas plus mal pour eux, cette ville est assez glauque. Et même si c’est celle dans laquelle elle a grandit et dans laquelle elle mourra, Anastasia ne se voile pas la face pour autant. Pour autant, cela ne la dérange pas outre mesure. Au moins, elle bosse, elle se fait de l’argent, elle s’occupe comme elle le peut, et cela a l’avantage de ne pas la rendre cinglée. Il ne faut pas se leurrer, cela fait bien longtemps qu’elle se raccroche à n’importe quoi pour ne pas perdre les pédales.

Elle reste là, les mains croisées devant elle, ne sachant quoi lui dire de plus. Elle lui proposerait bien de se rendre dans un autre hôtel, mais elle sait parfaitement qu’ils sont dans la même situation que sa petite maison d’hôtes. Cela devrait être plus calme dans les jours suivants, et encore, elle n’est même pas certaine de cela tant les événements récents poussent les gens à faire quelques kilomètres supplémentaire pour rejoindre cette petite ville. À croire que jamais ils n’ont entendus de telles choses, et pourtant, les grandes villes regorgent de drames en tout genre, ce n’est pas ce qui manque. Elle en a fait l’expérience lorsqu’elle s’est tirée avec James, même si elle n’est pas resté très longtemps en sa compagnie – faut dire que se prendre des coups par un gars, ce n’est pas réellement ce qu’Anastasia voulait comme relation.
Mais elle relève les yeux lorsque le jeune homme l’informe que c’est un ami qui lui a donné cette adresse. Elle fronce les sourcils en réfléchissant, mais sur le coup, ne voit pas franchement qui aurait eu cette idée en sachant très bien qu’elle n’a aucune chambre disponible. Soit cette personne se fichait royalement du jeune blond qui se trouve devant elle, soit cela se résume à autre chose dont elle ne sait absolument rien. Elle ne dit rien, elle attend juste une explication supplémentaire, une information qui pourrait lui permettre de faire en sorte qu’il ne dorme pas dehors cette nuit. Elle ne supporterait pas vraiment cette idée.

Mais au final, les questions de la jeune femme ne restent pas longtemps sans réponses. « Hunter. » répète-t-elle doucement en ancrant une nouvelle fois son regard dans le sien. Bien, si cela vient de lui, elle sait exactement quoi faire, puisque dans le cas contraire, jamais il n’aurait eu dans l’idée de faire venir un mec chez elle si il n’avait pas une once de confiance envers celui-ci – du moins, l’espère-t-elle. Et au fil des explications du jeune homme, elle comprend de plus en plus.
Un coup de fil aurait été sympathique, pense-t-elle alors qu’un petit pli se forme au niveau de son front. Certes, en ce moment, on ne peut pas dire qu’ils sont collés l’un à l’autre comme des inséparables, c’est à croire qu’elle a brusquement contractée la peste.
Anastasia se perd tellement dans ses pensées qu’elle remarque seulement qu’il souhaite prendre la poudre d’escampette et se mettre en quête d’un autre hôtel. « Ce serait une perte de temps. » lui dit-elle en affichant un petit sourire. « Tous les établissements de la ville affichent complet depuis quelques jours, et cela risque d’être encore le cas dans les jours à venir. » continue la jeune femme en s’approchant de la porte d’entrée et cette fois, elle n’oublie pas de la verrouiller.

Ce n’est pas comme si elle allait le mettre dehors sans état d’âme, elle n’est pas comme ça. Elle est même de ceux qui rendent service sans jamais rien attendre en contre partie, cela lui convient bien mieux qu’être à l’affut du moindre retour. « Viens avec moi. » dit-elle finalement en lui emboitant le pas avant d’éteindre les lumières. « Et c’est pas négociable, j’laisse personne à la rue. » ajoute la jeune brune, parce qu’elle a pas envie qu’il proteste ou se sente mal, ça va, ce n’est rien de bien difficile à faire. On ne lui fout pas un couteau sous la gorge et elle le fait de bon cœur, finalement. Elle traverse deux-trois pièces avant de finalement rejoindre la porte « privé » qu’elle aurait du franchir il y a déjà quelques minutes. Elle l’ouvre et le fait entrer à l’intérieur dans un petit sourire. Ça ne la dérange pas, au contraire, peut-être même qu’un peu de compagnie lui fera du bien, même si elle ne lui tiendra pas la grappe durant des heures dans l’espoir qu’il lui parle de tout et rien.
L’endroit où elle réside n’a rien de très luxueux, elle y vit d’ailleurs depuis son enfance. Anastasia a simplement prit le temps de refaire la décoration et foutre à la poubelle toutes les vieilleries de ses parents pour en faire un petit appartement plus agréable et confortable. Elle a conservée sa chambre qu’elle a refait à neuf, et transformé la chambre de ses parents en bureau. Au moins, elle a un autre endroit où elle peut être au calme pour faire les comptes et tout ce qu’implique la geste de cette maison d’hôte. Il y a aussi une salle de bain, une cuisine et un salon plus ou moins grand, sans que ce soit excessif. De toute façon, elle n’avait besoin que d’une télévision et un coin ‘bibliothèque’ où se trouve tous les bouquins qu’elle adore ou qu’elle n’a pas encore eu le temps de lire.

« Si tu veux prendre une douche, tu fais comme chez toi. » lui explique-t-elle en désignant la salle de bain d’un signe de tête. En somme, il a pas à se prendre la tête, lui demander la permission pour chaque fait et geste. « Est-ce que tu as faim ? » demande Anastasia en se dirigeant déjà vers la cuisine. Qu’il dise oui ou non, elle compte quand même faire un petit quelque chose parce qu’elle, elle a carrément la dalle et c’est toujours mieux d’avoir le ventre remplit avant de se coucher.

Avec Anastasia, les négociations ne durent jamais très longtemps ; en fait, elles ne commencent jamais réellement. Parce qu’elle est du genre têtue, et quand elle a une idée en tête, elle ne l’a pas ailleurs. Elle n’aurait pas franchement été à l’aise si elle avait foutu le gars dehors, et autant dire qu’elle n’aurait pas réussi à fermer l’oeil de la nuit en sachant que lui, il aurait été dans la rue, en pleine galère. Ça aurait été un coup à lui faire une bonne insomnie qui aurait réduit ses capacités de moitié pour sa journée du lendemain. Non, vaut mieux qu’il reste là, qu’elle prenne soin de lui et demain, les choses seront déjà plus claires. Après tout, s’il connaît son ami d’enfance, c’est qu’il doit être fréquentable et qu’elle ne craint absolument rien. Sans quoi, jamais il n’aurait pu mettre les pieds dans le coin, elle en est certaine malgré les nombreuses distances qui la séparent désormais de l’homme dont elle est connement amoureuse.
Enfin, pas le temps de se perdre dans des lamentations inutiles. Maintenant, il faut qu’elle s’occupe de ce jeune homme et cela lui changera grandement les idées, elle en a bien besoin après une journée pourrie comme celle qu’elle vient de vivre et tous ces souvenirs qui remontent en elle brusquement, comme si c’était réellement le bon moment. Ça ne pouvait pas attendre plus tard, dans quelques mois, ou mieux, dans quelques années. Non, ces conneries choisissent toujours les périodes les plus difficiles, histoire d’enfoncer le clou.

Ils arrivent finalement dans ‘l’appartement’ d’Anastasia et déjà, elle fait comme si ils se connaissaient depuis des semaines entières et qu’elle l’invitait pour la première fois dans son logement. Rapidement, elle lui demande de se mettre à l’aise et faire comme si il était chez lui ; elle ne supporte pas lorsque les gens sont coincés, ont peur de faire le moindre mouvement ou demandent s’ils peuvent se rendre dans telle ou telle pièce. Elle n’a jamais tuée personne, et ce n’est pas maintenant qu’elle compte faire une carrière dans le crime.
« OK, mais si tu entre dans ma cuisine, je te préviens : tu arrête de me dire « vous », je me sens déjà assez proche de la vieillesse comme ça. » glisse-t-elle dans un sourire. Parce que oui, parfois, elle sait être drôle, même si elle trouve la vie trop stupide et qu’elle joue trop souvent à faire semblant d’être au top de sa forme et fait comme si tout allait bien dans le meilleur des mondes, même que son existence est enviable et toutes les conneries du genre. Après tout, elle ne peut pas dire à quelqu’un : non, ça va pas, je trouve ma vie débile et j’me sens pas à ma place dans ce monde depuis que j’suis gamine. Dans le genre ‘je casse l’ambiance’, on ne ferait pas mieux.

Anastasia revient dans le salon où se trouve le jeune blond et lui adresse un regard qui se veut être amical. « J’te laisse prendre une douche tranquillement, les serviettes sont dans le placard juste en dessous du lavabo. Pendant ce temps, je te prépare le canapé. » annonce la brune en espérant que le canapé sera assez confortable. Elle a déjà dormi dessus, mais elle ne s’en était pas franchement rendue compte, elle était juste tombée de sommeil après une journée éreintante en compagnie de clients particulièrement chiants.

La jeune femme retourne jusqu’à sa chambre, ouvre une armoire et sort une paire de draps, une couverture, des oreillers et des taies d’oreillers. Elle n’a pas l’habitude de faire les choses à moitié, et ce n’est pas parce qu’il dormira sur le canapé que ça doit être moins bien qu’un lit. Du coup, elle rejoint une nouvelle fois le salon, dépli le canapé afin d’en faire un lit après deux tentatives -dont une qui a failli lui coûter un doigt- et le prépare correctement. Toujours ces gestes qui sont automatiques et qui ne lui demandent plus vraiment d’effort particulier. Elle fait cela depuis si longtemps que c’en est devenu un jeu d’enfant. Elle glisse les oreillers dans les taies et les dépose au dessus du reste. Elle se recule ensuite de deux pas et se dit que c’est plutôt pas mal.
Maintenant, elle rejoint la cuisine, parce que même si elle accepte qu’il y mette les pieds, il est hors de question qu’elle reste les bras croisés à ne rien faire. Si il y a bien une chose qu’elle déteste : c’est ne rien faire et attendre que les autres le fassent à sa place. Elle préfère participer, c’est toujours plus amusant.
D’ailleurs, c’est en ouvrant la porte du réfrigérateur qu’elle se rend compte qu’elle ne connait toujours pas le prénom de son invité surprise.

En regardant le jeune homme qui évolue dans sa cuisine, Anastasia sourit légèrement. Elle n’a pas l’habitude que l’on fasse quelque chose pour elle, du moins, lorsqu’elle se trouve dans son logement. Même lorsqu’elle était petite, c’est elle qui faisait les repas et qui s’occupait de ses parents puisqu’ils étaient trop occupés à se faire la guerre, même lorsque la nuit était venue. Elle est entièrement indépendante depuis l’âge de huit ans, et c’est peut-être ce qui explique qu’elle ne supporte plus à présent de ne rien faire. Elle a besoin de se rendre utile, de faire quelque chose à côté afin de ne pas attendre les bras croisés que tout se prépare. « Excellente idée. Cela fait un moment que je n’ai pas eu l’occasion d’en manger. » glisse-t-elle dans un sourire en sortant la tête du réfrigérateur.
Généralement, lorsqu’elle rentre le soir, la jeune femme ne se prend pas la tête durant des heures. Elle fait la première chose qui lui passe par la tête, et souvent, ce sont des légumes qui cuisent rapidement ou qui se mangent crus. Et le midi, elle mange ce qu’elle prépare pour les clients de la maison d’hôte, du moins, pour ceux qui souhaitent manger là. En règle générale, certains ne prennent que le petit-déjeuner, et le midi et le soir, ils mangent ailleurs, ce qui l’arrange parfois lorsqu’elle n’a pas envie de faire quoique ce soit – une chance qu’elle puisse embaucher de temps à autre.

Après quelques secondes de réflexion, Anastasia décide de faire un moelleux au chocolat pour le dessert. C’est un gâteau incontournable et elle espère simplement que le jeune homme l’apprécie autant qu’elle, sans quoi, et bien, elle aurait toujours de quoi faire autre chose. Elle sort quelques ingrédients lorsqu’il lui pose une question à laquelle elle ne s’attendait pas vraiment. Sa remarque suivante lui arrache un sourire alors qu’elle secoue la tête. « Ne te tracasse pas, ta conversation sera toujours plus intéressante que le silence. » dit-elle en ouvrant un petit peu la fenêtre de la cuisine afin que trop de fumée ne reste pas dans la pièce.
Elle prend une petite casserole, y met de l’eau et la pose sur une plaque chauffante qu’elle met en route. « Tu as tout ce dont tu as besoin ici et là. » explique-t-elle au jeune homme en lui montrant où se trouvent les ustensiles de cuisine et les autres casseroles et compagnie. La brune n’a pas l’intention de se mettre au travers de la réalisation de son plat. Elle attrape ensuite un grand bol, y dépose des morceaux de chocolat et le met dans l’eau afin que les morceaux fondent lentement.

« Je travaille ici depuis que j’ai... je ne sais pas, peut-être sept ou huit ans. Cette maison appartenait à mes parents, mais ils n’étaient pas franchement préoccupé par tout le travail qu’il y avait à faire. » explique Anastasia en haussant doucement les épaules. Elle attrape d’autres ustensiles et se souvient des regards des clients qui murmuraient lorsqu’ils passaient à côté de l’accueil où se tenait la petite fille qu’elle était. Tous savaient que les parents étaient un peu plus loin et passaient leurs temps à faire n’importe quoi. Alors qu’elle, elle se tenait là, ses devoirs d’un côté, les réservations de l’autre. Était-elle courageuse ? Elle ne pense pas. Elle savait juste qu’elle devait le faire. « Je l’ai ensuite tenu avec mon père lorsque ma mère a mit les voiles, et à la mort de mon paternel, j’ai repris le flambeau. » ajoute la jeune femme en cassant les œufs dans le récipient, en séparant le blanc du jaune.

Il est vrai que la vie de la jeune femme n’a rien d’exceptionnelle et qu’elle est même plutôt plate en comparaison de beaucoup d’autres. Mais depuis toujours, elle a conscience qu’il en sera toujours ainsi, du coup, elle ne se berce plus d’illusions. « Je sais que Caswell n’est pas la ville la plus cool du monde, mais j’ai que ça, au final. » avoue-t-elle finalement sans pour autant prendre un ton pathétique qui montre à quel point elle n’aime pas réellement son travail, sa vie et sa ville. « Et si tu me parlais un peu de toi ? En commençant par ton prénom, peut-être ? » demande-t-elle à tout hasard. Et elle non plus ne se vexerait pas s’il décidait de rien dire. Ce n’est pas une obligation, ils peuvent même simplement discuter d’la pluie et du beau temps, ça lui irait aussi.

Et je mourrais probablement dans ce coin, pense Anastasia en coulant un regard vers le jeune homme. Cela fait bien longtemps qu’elle ne songe plus à prendre la fuite, elle sait à quel point cela est inutile et de toute façon, elle serait une nouvelle fois capable de suivre la mauvaise personne. Maintenant, elle ne se berce plus d’illusions. C’est probablement mieux ainsi, elle n’a jamais été une grande rêveuse, elle ne commencera pas maintenant.
À sa question, elle hausse légèrement les épaules. Bien sûr, elle a déjà eu cette envie, et peut-être qu’elle l’aura jusqu’à la fin de son existence, mais la jeune femme sait aussi qu’elle n’est pas réellement capable de le faire. Toute sa vie se résume à Caswell. Que pourrait-elle faire ailleurs ? Avoir une nouvelle vie ? Tout reprendre de zéro ? Ce serait bien trop long et compliqué. Au moins, ici, elle a de quoi faire, et elle s’est résignée depuis toute gamine à vivre cette existence qui a été toute tracée. « J’en ai eu envie des milliers de fois. Quand mon père est mort, je suis partie, mais j’ai pas choisi la bonne personne pour faire un bout de chemin. Du coup, je suis revenue, un peu plus résignée qu’avant. » explique finalement Anastasia sans en dire trop, mais elle en dit assez malgré tout. Elle n’a pas besoin de dire que le mec lui foutait sur la gueule et qu’elle a du le fuir, lui aussi. Et qu’au final, tous ses pas la ramènent à ce coin paumé où elle a grandit.

D’ailleurs, elle n’est pas certaine qu’elle supporterait les grandes villes ou les autres coins du pays. Mais il serait peut-être temps qu’elle s’intéresse davantage au jeune homme afin d’en apprendre un peu sur lui... Sauf qu’il semble être de ceux qui ne parlent pas beaucoup et qui cachent souvent qui ils sont. Elle ne lui en veut pas, et même, elle peut comprendre. Ce n’est pas elle qui va le forcer à lui répondre si il n’a pas envie de le faire, il est libre. Seulement, ne pas connaître son prénom va être difficile. Ce n’est pas franchement pratique de parler de quelqu’un en l’appelant machin ou bidule. Du coup, il faut qu’elle trouve une solution.
« Mh, d’accord... Mais dans ce cas, il faut que je te trouve un prénom parce que sinon, je vais pas être à l’aise. Alors, que penses-tu de Tom ? C’est bien, non ? » demande-t-elle en lui adressant un nouveau sourire – les sourires qu’elle réserve à ceux qui les méritent. Ce ne sont pas des sourires fabriqués comme elle en sort quotidiennement aux gens dans la rue ou à sa clientèle.

Elle attrape ensuite un autre récipient où sont les blancs d'œufs, prend le fouet et commence à les monter en neige – le truc le plus chiant à faire de cette recette, mais depuis qu’elle en fait, elle a l’habitude. Il faut simplement ne jamais perdre la main et ne faire aucune pause afin qu’ils montent rapidement et qu’ils tiennent. « Oui, un bon petit moelleux au chocolat. » annonce Anastasia en terminant sa tâche avant de mettre les autres ingrédients, dont le mélange des jaunes avec le sucre, le beurre, la farine et la levure dans le chocolat qui a fondu. Elle incorpore ensuite délicatement les blancs dans la préparation et éteint le feu.
La jeune femme se saisit ensuite d’un moule qu’elle beurre et farine avant d’y verser la pâte. Elle ouvre la porte du four, y glisse la préparation et l’allume au thermostat sept. Ne reste qu’à attendre quelques minutes et il sera prêt à être dégusté. Lorsqu’elle se redresse, son regard émeraude rencontre la brûlure du jeune homme, mais pour ne pas le mettre mal à l’aise, elle ne dit rien et pose ses yeux ailleurs.

« Je l’accompagne toujours avec des fraises et de la chantilly. Tu aimes ça ? » demande-t-elle à tout hasard. Au pire, elle doit bien avoir d’autres fruits, et même si ce n’est pas encore tout à fait la saison des fraises, il y en a déjà un peu pour son plus grand plaisir. Il faut bien avouer que parfois, elle fait preuve de gourmandise, mais cela reste une bien bonne maladie.
Anastasia se tourne de nouveau vers lui en sentant l’odeur plus qu’alléchante de ce qu’il prépare. « Ça sent bon, mon estomac se réveille. » plaisante-t-elle en lançant un regard approbateur à ce qu’il fait – elle ne peut faire autrement, elle a toujours un œil partout. « Je vais mettre la table. » l’informe la jeune femme avant de s’éclipser dans le coin salle à manger.

Elle a bien envie de lui dire que non, ça ne lui plaît pas et qu’elle aimerait vraiment être ailleurs, mais elle préfère se taire. Elle n’a clairement pas envie de mettre une mauvaise ambiance en lui racontant tous ses problèmes et en expliquant durant des heures à quel point sa vie ne lui convient pas. Après tout, qu’est-ce que ça pourrait bien lui faire ? Il n’est pas là pour entendre des plaintes venant d’Anastasia et elle préfère largement qu’il se sente à l’aise en sa compagnie plutôt qu’être distant parce qu’il aura peur de dire quelque chose qui pourrait la mettre en mauvaise posture.
Du coup, il est vrai qu’elle s’intéresse un peu à lui parce qu’elle souhaite en apprendre davantage sur sa personne, mais la jeune femme se rend bien compte qu’il est réticent à cette idée. Elle n’insiste pas. Elle ne va pas lui mettre un couteau sous la gorge dans l’espoir qu’il parle et lui raconte sa vie dans les moindres détails. S’il n’a pas envie de le faire, elle respecte son choix et se permet même de lui trouver un petit prénom puisqu’il n’aime pas le sien. Cela lui donne une occasion de ne pas le nommer machin à la moindre occasion.

Mais au moins, il gagne un bon point puisqu’il a bon goût et connaît les bonnes choses. Non seulement il s’en sort bien dans une cuisine, mais il adore les gâteaux et les accompagnements qui vont avec. Inutile vraiment de dire qu’Anastasia est une gourmande, et elle ne se prive jamais de manger tout ce dont elle a envie. Après tout, elle bosse dur du petit matin jusqu’au soir, il faut bien qu’elle reprenne des forces et elle ne craint pas de prendre deux ou trois kilos. Elle est naturellement mince et ne supporte pas les jeunes femmes qui se privent de nourriture sous prétexte que dans les magazines, les femmes ont la peau sur les os ; elle trouve cela affreusement moche.
« Je crois que tu vas être heureux. Dans le buffet de la salle à manger, il y a un placard dans lequel je garde en réserve des paquets de bonbons et de gâteaux. » annonce-t-elle en lui offrant un nouveau sourire. Décidément, ce soir, elle sourit beaucoup comparé à d’habitude. Il semblerait que Tom lui fasse du bien au moral, ce qui n’est clairement pas négligeable. « Tu peux en prendre autant que tu veux. » lui dit-elle comme sur le ton de la confidence. Si elle peut partager sa gourmandise avec quelqu’un, elle ne s’en privera pas.

Anastasia s’éclipse ensuite pour mettre rapidement la table. Rares sont les fois où elle pose deux assiettes sur cette table. À croire qu’elle a réellement prit l’habitude d’être seule – ce qui est un peu le cas ces dernières semaines et ce ne sont pas les clients qui comblent les absences. De retour en cuisine, elle arque un sourcil à sa question et l’étudie durant quelques secondes. Pas sûre réellement qu’il ait l’âge légal de consommer de l’alcool, mais la bière n’a jamais tué personne et ce serait hypocrite de sa part de faire comme si elle n’avait jamais bu avant de pouvoir le faire légalement. « Bien sûr. » dit-elle finalement en chopant une bière dans le réfrigérateur ainsi qu’une bouteille de vin rouge. Elle attrape également quelques morceaux de pains qu’elle glisse dans la corbeille à pains, justement, et retourne dans la salle à manger après avoir jeter un regard à son gâteau qui cuit tranquillement.
Elle pose le tout sur la table et s’installe sur une chaise, une jambe repliée sous elle, comme à son habitude. « Si tu en veux d’autres, tu te sers. » l’informe la jeune femme. Comme elle lui a dit, il peut faire comme si il était chez lui, cela ne la dérange pas le moins du monde. Et enfin, vint le moment tant attendu : celui de la dégustation. Une fois tous deux à table, ils se servent, Anastasia souhaite un bon appétit au jeune homme et goûte à son plat.

« Merde, c’est super bon ! » dit-elle sincèrement. Parce que ouais, si ça aurait été mauvais, bah elle l’aurait pas mangé de si bon appétit, faut le dire. « J’suis à la limite de t’embaucher comme cuisinier privé. » ajoute Anastasia avec humour, même si ça pourrait être amusant. C’est étrange, mais ils cohabitent plutôt bien dans une même pièce depuis qu’il a mit les pieds dans son appartement, elle ne s’est pas sentie une seule fois envahie ou mal à l’aise. Dans le fond, c’est un peu comme si il avait toujours eu une place là, quelque part, sans qu’elle comprenne réellement pourquoi ni comment elle peut ressentir une telle chose parce qu’elle ne le connaît pas et ne sait vraiment rien de lui. Mais dans le fond, elle réalise subitement que cela n’a pas une grande importance pour le moment. Ce qui compte, c’est qu’il se sente tout aussi bien en sa présence.

Un sourire étire les lèvres de la jeune femme alors qu’elle observe Tom du coin de l'œil. Dans le fond, cela pourrait être sympathique de ne plus être seule dans cet appartement, d’être en compagnie de quelqu’un avec qui elle pourrait échanger, parler de ses journées, faire des blagues ou tout un tas de trucs qu’elle ne fait jamais par manque de temps ou d’envie. Il faut dire que certaines activités ne sont pas amusantes si elles sont faites seule. Pourtant, Anastasia n’est pas de ces personnes qui s’ennuient facilement, mais une fois toutes les tâches accomplies, la lecture mise à part, elle n’a plus grand chose à faire. On fait bien trop rapidement le tour de ses occupations.
« J’te prépare un contrat quand tu veux. » déclare-t-elle dans un murmure, pas sûre qu’il ait entendu sa réflexion. Et dire qu’il y a encore quelques années, elle aurait bien foutu son père à la porte si il n’avait pas été si malade. Même s’il ne faisait plus grand chose, Charles se permettait bien souvent des remarques, comme si elle faisait mal son travail, la cuisine n’était jamais à son goût et d’autres reproches qui avaient le don de la rendre folle. Il a fallu qu’elle prenne sur elle durant des années, mais à présent, elle hausse simplement les épaules à l’évocation de ses souvenirs. C’est du passé, et il faut qu’il reste là où il est. Mais en ce qui concerne le jeune homme, elle a plus l’impression que c’est une question de présent et de futur.

Elle boit une gorgée de vin et repose son verre, non sans passer à côté du fait que Tom repousse légèrement son assiette. Elle fronce les sourcils en pensant que c’est étrange pour quelqu’un qui mourrait littéralement de faim. Anastasia se demande bien ce qui motive ce changement brusque, mais ne lui fait aucune remarque. Encore une fois, elle n’est pas intrusive et ne se permettrait pas de le forcer à lui dire ce qu’il pense, ressent ou vit. Elle le regarde s’éloigner dans la cuisine et revenir, bière à la main. Et une fois à sa place, il lui pose une question à laquelle elle aurait pu s’attendre, mais en fait, elle en reste presque... surprise.
Mais ce n’est pas pour autant qu’elle ne va pas répondre, ce n’est pas quelque chose de secret. Elle pose sa fourchette contre son assiette, boit encore un peu de vin et le garde en main, faisant tourner le liquide rouge dans le verre. « Hm, cela va bientôt faire vingt ans. » dit-elle dans un petit sourire qui n’atteint pas ses yeux, cette fois-ci. « On s’est connu quand on était mômes, on a bien accroché. » ajoute la jeune femme alors que son regard se perd dans le verre de vin.

Elle ne sait pas trop pourquoi, mais elle ressent ce besoin soudain de l’évoquer tel qu’il a toujours été avec elle avant leur fameux dérapage. Ce sont de bons souvenirs, des moments qu’elle n’oubliera jamais. « Il a toujours été là pour moi. Il m’a vraiment aidé à tenir le coup dans cette ville, j’ai bien conscience que sans lui, mes jours auraient été plus difficiles. Ma mère qui a foutu le camp, la maladie de mon père, cette maison, et James... La mauvaise personne à laquelle je faisais référence tout à l’heure. Quand j’y pense, j’me dis que je lui dois au moins une vie. » avoue-t-elle finalement en terminant son verre. « Je reviens. » déclare Anastasia avant de se lever et prendre la direction de la cuisine.

Elle éteint le four, enfile un gant de cuisine et sort le gâteau qui dégage une odeur délicieuse. Elle le pose ensuite sur le plan de travail et le laisse reposer quelques instants avant de sortir des fraises et de la chantilly du réfrigérateur. Elle attrape ensuite une planche sur laquelle elle équeute les fraises avant de les couper en rondelles. Mais un moment d’inattention suffit à ce que la lame entre en contact avec son index. Il ne faut pas deux secondes pour que le sang affut rapidement. « Merde ! » dit-elle en attrapant rapidement quelques feuilles de sopalin qu’elle pose sur son doigt afin que le sang cesse de couler, et surtout, qu’elle ne le voit pas trop. Anastasia ne supporte pas la vue de son propre sang, alors que celui des autres ne lui fait ni chaud ni froid. Rapidement, elle se rend jusqu’à la salle de bain, passe son doigt sous l’eau froide et de l’autre main, fouille dans le placard où se trouve des médicaments et autres produits. Certaines boites tombent au sol, mais elle ne s’en soucie pas plus que cela.

Elle chope également un morceau de coton, verse du produit dessus, enlève le sopalin et sans regarder, désinfecte la coupure. « Respire à fond... » se dit-elle en croisant son regard dans le miroir. Il ne faut surtout pas qu’elle cède à la panique ou pire encore, qu’elle voit le sang couler sous peine de tourner de l'œil.

J’aurais du faire attention, putain... se répète inlassablement la jeune femme en contemplant son reflet dans le miroir. C’est la seule chose qu’elle soit en mesure de faire. Comme à chaque fois qu’elle se blesse et que le sang coule, elle se soigne à l’aveugle puisqu’elle ne supporte pas la vue de son sang. Parfois, elle fait n’importe quoi, mais elle n’a jamais eu d’autre choix.
Une fois le coton sur la plaie, elle grimace. Elle déteste réellement être dans cette situation, mais elle ne va quand même pas se jeter sur un téléphone pour qu’un médecin lui vienne en aide. Elle paraîtrait encore plus ridicule que maintenant et elle ne pense pas qu’il ferait le déplacement pour une blessure aussi absurde que la sienne.

C’est à ce moment qu’elle remarque la présence de Tom derrière elle. Lorsqu’il prend le coton, elle le laisse faire et ne prononce pas un seul mot. Son regard se concentre sur lui au travers du miroir. Anastasia lui fait confiance. Cette vérité s’impose à elle à ce moment. Il lui inspire réellement confiance et elle sait au fond d’elle-même qu’il est quelqu’un de bien. Elle n’a pas besoin qu’il parle, qu’il raconte sa vie pour qu’elle en ait la certitude.
Elle lui sourit doucement, bien que son sourire paraît crispé sur le moment. Elle se concentre un maximum afin que ses yeux ne tombent pas sur son doigt. Elle regarde seulement le visage du jeune homme, au moins, elle ne tombe pas sur la pâleur soudaine du sien. Elle s’est occupée d’un homme malade pendant des années, et elle n’est pas fichue de prendre soin d’elle-même. Si cela n’était pas aussi tragique, elle pourrait en rire.

Mais il la tire de ses pensées en lui annonçant qu’il a terminé. Anastasia ose enfin baisser les yeux sur son doigt qui est désormais pansé. Un soupir de soulagement lui échappe. C’est beaucoup mieux que lorsqu’elle le fait elle-même. Parfois, il arrive même qu’elle fout le pansement à moitié à côté. Seulement, lorsque le jeune homme lui annonce qu’il est désolé, elle arque un sourcil et se tourne vers lui. « Ne sois pas désolé. Tu viens de me rendre un immense service. » lui dit-elle en souriant. Elle ne pouvait être plus sincère qu’à cet instant. Il ne sait pas à quel point il a été parfait. « Je suis incapable de faire une telle chose correctement. Lorsque je me soigne, mes pansements ressemblent à ceux que se font gauchement les enfants. » avoue finalement la jeune femme en faisant la moue. Ouais, elle sait que c’est légèrement pathétique de faire un tel aveu, mais il fallait bien qu’elle lui fasse comprendre qu’il a eu le bon réflexe en lui prêtant mains fortes.

« À cuisinier privé, je rajoute infirmier. » plaisante-t-elle en reprenant un peu ses esprits. Son regard glisse sur le sol et elle remarque les boites qui sont tombées pendant qu’elle était en quête du désinfectant. Son sens de l’organisation en prend un sacré coup. Elle se baisse, ramasse toutes les boites et les range dans le placard à pharmacie. Le reste, sans un regard, part à la poubelle. « Je te remercie, ton aide m’a été précieuse. » ajoute finalement Anastasia. Cela lui a évité une crise de panique, un malaise et d’autres désagréments auxquels elle préfère ne pas penser.

Elle sort ensuite de la salle de bain et s’apprête à se rendre dans la cuisine lorsqu’elle s’arrête brusquement sur le seuil de celle-ci. « Tom ? » appelle-t-elle d’une petite voix, malgré que celle-ci ne soit pas franchement douce à la base. « Est-ce qu’il y a du... sang dans la cuisine ? » demande-t-elle finalement en se mordant la lèvre. Même si cette phobie est naturelle et que beaucoup l’ont, Anastasia se sent malgré tout plus que ridicule, comme si elle était encore une petite fille qui a peur des monstres sous le lit. Elle devrait faire face, elle le sait, mais elle n’y arrive pas.

Un sourire glisse sur les lèvres d’Anastasia alors qu’elle observe le jeune homme. C’est fou comme elle a cette impression de le connaître depuis toujours, comme si il avait toujours fait parti de sa vie. Cette pensée est irrationnelle, elle en a parfaitement conscience, mais c’est plus fort qu’elle. C’est comme si ils avaient évolués ensemble, qu’ils avaient été séparés durant un temps et qu’ils se retrouvaient après des années de silence.
Et plus elle y songe, plus elle se dit que ce ne serait pas une mauvaise idée qu’il bosse dans le coin, qu’il construise quelque chose dans cette ville. Parce qu’elle se doute bien qu’il n’est pas du coin, sinon, il aurait su que tous les établissements étaient complets à cause des événements actuels. Mais d’où vient-il ? Que fait-il ici ? Elle n’en sait rien du tout, et ces questions passent même au second plan. La seule qui lui importe est : pourquoi s’est-elle si facilement attachée à lui ?

Elle ne le sait franchement pas et pour le moment, elle se concentre sur autre chose. Elle aura tout le temps de faire un bilan de cette soirée plus tard, lorsqu’elle sera dans sa chambre. « Tu es déjà indispensable. » glisse-t-elle dans un sourire. Ces mots ne sonnent pas faux, ils sonnent justes. Merde, pourquoi j’me sens si proche de lui ?, se demande Anastasia en fronçant les sourcils. C’est comme la première fois où son chemin a croisé celui d’Hunter, dès les premiers instants, elle a su qu’un lien allait se créer entre eux et elle ne se trompait pas. Et là, elle ressent exactement la même chose. Elle a même l’impression que c’est déjà fais.

Ils quittent la salle de bain, la jeune femme se dirige vers la cuisine mais s’arrête brusquement en songeant au fait qu’il pourrait y avoir du sang sur le plan de travail. Généralement, elle se fait violence, entre et balance tout à la poubelle sans jamais regarder ce qu’elle fait. Elle nettoie ensuite les dégâts et se remet au travail ; mais il serait dommage de refaire à chaque fois les mêmes conneries lorsque quelqu’un lui apporte un peu d’aide. Du coup, elle demande à Tom si il reste du sang. Elle n’est pas vraiment à l’aise, elle sent encore vraiment stupide. Mais il vaut mieux paraître stupide que faire un malaise.
Anastasia attend sagement qu’il inspecte les lieux et lorsqu’il l’informe que tout est bon, un soupir de soulagement s’échappe et elle franchit la porte. Sa remarque lui arrache un petit sourire ; en effet, pour le coup, c’est peut-être préférable. « Houlà, tu sais pas à quel point tu nous fais prendre des risques ! Je suis pas certaine d’être en mesure de faire quoique ce soit avec ma blessure de guerre. » glisse-t-elle en poussant la comédie au maximum. « Mais j’ai tendance à exploiter mon courage jusqu’à ce que je n’en puisse plus. » ajoute la brune en se glissant derrière le jeune homme pour prendre des assiettes à dessert ainsi qu’une plus grande qu’elle dépose un peu plus loin.

En faisant attention, elle prend le moule où se trouve encore le gâteau, et sans mouvement brusque, le démoule et le pose délicatement sur l’assiette. Une parfaite réussite. Elle attrape un couteau dans un petit sourire et coupe deux parts qu’elle dépose dans les deux assiettes. Elle se saisit ensuite de la chantilly et en verse dans un coin de l’assiette afin de reposer la bouteille et prendre deux petites cuillères. Dans un placard, elle attrape également un bol et le dépose devant Tom. « Pour les fraises. » lui dit-elle simplement en prenant les assiettes pour les ramener dans la salle à manger. Une fois mises à table, elle se retourne, ouvre le buffet et sort plusieurs sachets de bonbons sans vraiment savoir ce que le jeune homme préfère. Le tout se retrouve au milieu de la table, prêts à être généreusement dévorer.

Anastasia est... heureuse. Oui, c’est le mot, c’est ce sentiment qu’elle n’avait pas ressentie depuis quelques temps qui revient en elle et lui gonfle le cœur. Elle observe le jeune homme qui revient dans la salle à manger et découvre les paquets de bonbons qu’elle a généreusement déposé sur la table. Elle en mange beaucoup, elle aussi, elle ne résiste jamais aux sucreries et d’ailleurs, elle ne s’en privera probablement jamais. Plutôt se faire couper un bras que renoncer à ses douceurs qui lui font un bien fou après une journée entière de travail. Un sourire étire ses lèvres après qu’il eut déposé un baiser contre sa joue et ils s’installent ensuite de nouveau à table. Il est temps de manger le dessert, et on ne plaisante jamais avec un moelleux au chocolat. Sa petite boutade la fait doucement rire. « Ouais, je crois que c’est préférable. » glisse-t-elle en affichant une petite moue résignée. Elle a déjà failli perdre un doigt ce soir, il est hors de question qu’elle en perde réellement un. Son travail pourrait être difficile avec cet handicap.

Une fois servie, elle attrape la cuillère, en coupe un morceau dans sa part plus que généreuse et dévore littéralement. En effet, encore une fois, Anastasia a réussie à faire un gâteau mangeable. Parfois, elle en vient même à se dire qu’elle pourrait ouvrir une pâtisserie si elle venait à abandonner la maison d’hôtes. Sans être une professionnelle dans ce domaine, elle est certaine qu’elle pourrait s’en sortir. Mais cette perspective reste dans un tiroir bien coincé au fond de ses pensées. Il ne faut pas qu’elle rêve de trop. « Ravie qu’il te plaise. » déclare Anastasia dans un sourire en le regardant manger de bon appétit. C’est probablement ce qui lui fait le plus plaisir : qu’il se régale autant.

Elle, elle mange beaucoup de fraises, beaucoup de chantilly et pioche dans les bonbons. Ce soir, c’est comme un soir de fête et comme à son habitude, elle ne compte pas les calories. Mais au bout d’un moment, elle n’a plus faim ce qui ne l’étonne absolument pas. Elle pose la cuillère contre son assiette et croise les mains sous son menton. « La fatigue ? Je connais pas. » répondit-elle avec humour. Sa proposition la tente plus que bien, et elle ne va pas la refuser. Pour une fois qu’elle est en compagnie agréable, elle n’a pas l’intention de le laisser en plan et partir dormir, alors qu’elle ne ressent pas encore l’envie de se coucher. « Oublie pas les bonbons. Une soirée sans bonbons, c’est pas vraiment une bonne soirée. » ajoute la jeune femme en se levant.

« Prends tout ce dont tu as besoin, je te rejoins dans quelques minutes. » lui dit-elle en lui montrant ensuite où se trouve la porte de ‘l’appartement’ afin qu’il puisse sortir. Elle se trouve presque entre le salon et la salle à manger, cela évite qu’elle sorte à chaque fois par l’accueil, et petite, c’était plus pratique lorsqu’elle se rendait à l’école.
Mais avant cela, Anastasia débarrasse la table, nettoie brièvement les assiettes, les couverts, les verres ainsi que tous les autres ustensiles de cuisine avant de les mettre dans le lave-vaisselle. Son côté un peu maniaque l’empêche de remettre cela à plus tard. Elle attrape ensuite une éponge, nettoie la table de la salle à manger et remet de l’ordre rapidement dans la cuisine. Cela ne lui prend pas plus de cinq minutes, elle accélère un peu le rythme.

Une fois terminée, elle range les plats au réfrigérateur, sort quelques bières, et reprend un verre et la bouteille de vin rouge pour elle. Elle éteint la lumière de la cuisine, traverse le salon, s’apprête à rejoindre Tom lorsqu’elle remarque la led de son téléphone qui clignote. « J’arrive dans une minute ! » dit-elle à l’intention du jeune homme qui se trouve déjà dehors. Elle pose la bouteille, attrape son portable et consulte l’historique des appels ; un seul. Hunter. Et le message vient probablement de lui aussi. Elle consulte sa messagerie et se dit que probablement c’est un simple appel pour lui dire qu’un jeune homme va débarquer chez elle ; message qu’elle aurait du consulter plus tôt, en somme.

Hésitante, Anastasia cale le téléphone contre son oreille et respire un grand coup. Ses doigts pianotent nerveusement le bois du buffet, mais elle l’écoute jusqu’au bout. Comme elle le pensait, il le prévient de la visite du jeune homme et la met légèrement en garde malgré tout. Un bref sourire étire ses lèvres avant qu’il ne disparaisse après quelques secondes. Elle raccroche et reste indécise, le regard sur le téléphone, sans réellement savoir si elle doit le rappeler sur le champs – ce qu’elle souhaite vraiment faire, ou au contraire, faire comme si elle n’avait jamais entendu ce message.
C’est la voix de Tom qui la ramène sur Terre, et elle repose machinalement le téléphone sur le buffet. Cette histoire attendra le temps d’une soirée. Elle a vraiment besoin de faire une pause, de faire le point et la présence de son invité surprise lui fait un bien fou. Baby ? pense-t-elle en s’arrêtant net. C’est donc ainsi qu’il se prénomme... Et même si elle trouve cela mignon et presque attendrissant, elle peut parfaitement comprendre qu’il ne soit pas à l’aise avec ce prénom. Et quoiqu’il en soit, elle respectera sa volonté et ne l’appellera pas ainsi.

La brune s’avance ensuite pour rejoindre Tom qui se trouve à seulement quelques pas lorsque son regard croise quelque chose au sol. Elle se penche, le ramasse et l’ouvre par automatisme ; jusqu’à ce qu’elle remarque qu’il s’agit du porte-feuille du jeune homme. Forcément, ses yeux glissent jusqu’à sa pièce d’identité et cela confirme son prénom, mais elle remarque également sa date de naissance. Un bref regard à l’horloge mural lui fait comprendre que c’est aujourd’hui son anniversaire.
Finalement, c’est un sourire aux lèvres qu’elle le rejoint, dépose les boissons et le verre à côté de lui et s’assoit à ses côtés. Ses remarques la font doucement sourire. « Ça ne me dérange pas, ne t’en fais pas. Mais tu vas te fiche de moi, je n’ai jamais fumé. » avoue-t-elle dans un haussement d’épaules. Cette révélation est entièrement vraie, même à l’adolescence, lorsque tout le monde se cherche un peu que certains jouent les rebelles à fumer clope sur clope, Anastasia n’y a jamais touché. Cela ne l’intéressait pas et c’est toujours le cas aujourd’hui.
Ou bien était-ce à cause de son père qui fumait comme un pompier et qui a chopé un cancer qui l’a tué. Elle détestait cette odeur de tabac lorsqu’elle rentrait des cours. Elle passait toujours des heures à faire disparaître l’odeur, ne serait-ce qu’un petit peu.

Elle décapsule une bière qu’elle lui donne, se sert un verre de vin et trinque avec lui. « À cette soirée et à notre rencontre presque fortuite. » dit-elle avec humour. Dans le fond, si Hunter ne l’avait pas envoyé ici, elle ne sait pas trop si son chemin aurait croisé le sien. Il n’aurait probablement pas eu l’idée de se rendre dans cette maison d’hôtes et cela aurait été dommage. Vraiment.
« Hunter a laissé un message sur mon répondeur. Il me fait te dire que ta voiture a été prise en charge. » annonce-t-elle en avalant une gorgée de vin. Lorsqu’elle évoque son meilleur ami, elle se sent toujours un peu triste en ce moment, raison pour laquelle elle ne l’a pas rappelé. De quoi aurait-elle eu l’air, franchement, avec la voix entrecoupée par les larmes ? Autant remettre à plus tard une discussion qui pourrait être désagréable ou qui les mettrait tous les deux mal à l’aise. Enfin, elle suppose. Elle ne peut faire que cela.

Un soupir plus tard, Anastasia se ressaisit, reprend le porte-feuille qu’elle avait mit à côté d’elle et le donne au jeune homme. « Il a du tombé lorsque tu t’es levé. » lui dit-elle en pinçant ses lèvres entre elles. « Oh, et je te souhaite un joyeux anniversaire. » glisse finalement la jeune femme en passant une main dans les cheveux blonds de Tom en les ébouriffant légèrement. Elle espère qu’il ne lui en voudra pas d’avoir regarder ses papiers – du moins, juste sa carte d’identité, rien de plus. Elle ne se serait pas permise de fouiller à l’intérieur.

Les remarques du jeune homme font doucement sourire Anastasia. C’est vrai que cela peut paraître surprenant, et pourtant, elle ne fait que dire la vérité. Elle ne voulait pas se bousiller la santé de cette manière, et quoiqu’on en dise, fumer ne lui aurait rien apporté. Elle supportait déjà assez la fumée que son père produisait en fumant clope sur clope, cela a réussi à la dégouter suffisamment pour qu’elle n’y touche pas une seule fois. Mais apparemment, en cette douce soirée, elle va mettre un coup de pied aux fesses de ses principes, et peut-être qu’en effet, cela lui fera du bien. Si ça peut la détendre, elle ne va pas dire non... Et une fois ne la tuera pas.

Sa question et sa comparaison avec les mecs la font rire, cette fois-ci. Elle réfléchit durant plusieurs secondes, puis, fronce les sourcils. Putain, pense Anastasia en creusant au plus profond de ses souvenirs, mais sans succès. À l’époque de sa première fois, elle était déjà folle amoureuse d’Hunter, mais comme elle ne pouvait pas être avec lui, la jeune femme a eu des aventures sans intérêt, mais qui a été le premier ? « Euh... On peut dire que je ne suis pas comme toutes les autres femmes, d’accord ? » demande-t-elle toujours aussi soucieuse, un pli lui barrant le front. Non franchement, elle réfléchit toujours, mais son prénom ne lui revient pas... C’était probablement un type du lycée ou un mec plus âgé, elle en sait fichtrement rien ! Un gémissement plaintif lui échappe. « J’m’en souviens pas... » avoue-t-elle en faisant une petite grimace. Mais si elle a pas été traumatisée par le sexe, c’est que ça devait être cool... Enfin, ce n’est qu’une supposition, il ne lui reste plus que ça.

Et puis, il serait préférable qu’ils changent de sujet. Tom n’a probablement pas envie de connaître les détails de sa vie sexuelle qui est très... bordélique, autant le dire. Du coup, elle l’informe de l’appel d’Hunter et du fait que sa voiture a été prise en charge. Ce qui veut dire qu’il va bientôt reprendre la route ? Cette pensée tire une grimace à Anastaisa. Elle s’est habituée à sa présence à une vitesse folle, et l’idée qu’il parte lui est plutôt désagréable. Mais elle sait aussi que les gens n’en n’ont que faire de Caswell, beaucoup préfèrent prendre la fuite le plus rapidement possible.
Elle boit une gorgée de vin en regardant droit devant elle avant de reprendre le portefeuille du jeune homme et le lui rendre avant de le souhaiter son anniversaire. Une chose qui lui paraît naturelle, même si elle espère qu’il ne prendra pas mal le fait qu’elle ait vu ses papiers. Anastasia n’est pas franchement curieuse et jamais elle ne se permettrait de fouiller dans les affaires des gens – mais dans le cas présent, ce n’était pas franchement volontaire.

Son manque de réaction inquiète légèrement la jeune femme avant qu’il ne réponde en balbutiant quelques mots et en lui tendant ensuite le joint. Non mais ouais, tu refuse les clopes d’puis toujours, et tu commence avec un joint, normal. pense-t-elle soudainement. Mais on s’en fout, sa conscience peut bien aller se faire voir ailleurs durant quelques minutes. C’est quand la dernière fois qu’elle s’est détendue ? Ça remonte à beaucoup trop loin pour qu’elle s’en souvienne.
Elle le regarde quelques secondes sans rien faire, avant de faire preuve de courage et tirer une latte. La fumée s’insinue le long de sa gorge, dans ses poumons... et une quinte de toux la prend. « Merde. » dit-elle après qu’elle se soit calmé et que la fumée ait quittée ses poumons. « J’dois pas franchement être faite pour ça. » déclare Anastasia en lui rendant le joint, prenant ensuite son verre de vin pour en boire une longue gorgée. Ça, au moins, ça ne lui fait pas de mal et elle ne risque rien – sauf une bonne cuite, mais avec du vin, ça prend le temps.